Dans l’histoire de la porcelaine chinoise, la « bleue et blanche » est souvent considérée comme un classique. Cependant, le succès de la production de la porcelaine blanche, sobre mais élégante, a constitué une base essentielle pour le développement ultérieur des porcelaines décorées. Son apparition remonte aux dynasties du Nord (386-581), bien que ce soit sous la dynastie Tang (618-907) que cette technique ait atteint sa maturité. La porcelaine blanche ne désigne pas forcément la couverte blanche ; sa teinte provient souvent de la pâte ou d’un engobe sous une couverte transparente, cuite à haute température (1200-1400 °C)1. Cette couverte transparente est couramment appelée couverte blanche aujourd’hui.
En raison des différences de ressources naturelles dans les différentes régions de Chine, les combinaisons de matières premières et les méthodes de cuisson de la porcelaine blanche varient également. En général, la fabrication de la porcelaine blanche nécessite un mélange spécifique de kaolin2 et de petuntse(白墩子)3, avec une teneur en fer inférieure à 1 %, afin d’assurer la dureté et la blancheur du produit final après cuisson4. Dans les régions du Nord, les matières premières contiennent généralement une proportion plus élevée de kaolin, tandis que les fours du Sud privilégient la pierre de porcelaine, en y ajoutant une quantité modérée de kaolin pour ajuster la qualité de la pâte. Certaines régions combinent également les ressources minérales locales pour développer des recettes uniques, illustrant la créativité des artisans adaptés aux conditions locales.
En raison des limitations techniques de l’époque, la production de la porcelaine blanche était extrêmement difficile. Elle semble incarner un objectif ultime pour les anciens Chinois. Son succès ne représente pas seulement une avancée technologique, mais également un symbole culturel, reflétant la compréhension profonde et le respect que les artisans chinois avaient pour la nature et leur métier.
Au fil de l’histoire, la porcelaine blanche a non seulement évolué sous des formes variées, mais elle a également donné naissance à une riche diversité de types de couvertes. Fait fascinant, les anciens Chinois nommaient souvent les couleurs des couvertes en s’inspirant des aliments ou des éléments naturels. Cette méthode de dénomination, à la fois vivante et originale, illustre également un profond respect pour la nature. Le présent article revient sur la chronologie de l’évolution des techniques de fabrication de la porcelaine blanche, explorant ses charmes uniques : sobres mais élégantes.

L’ORIGINE DE LA PORCELAINE BLANCHE ET LE FOUR DE XING
Créé à la fin des dynasties du Nord (420-589), le four de Xing, situé dans la province du Hebei, est l’un des premiers ateliers en Chine à produire de la porcelaine blanche. Sous les dynasties Sui et Tang (581-907), les techniques de ce four ont atteint une grande maturité. La porcelaine blanche du four de Xing était fabriquée à partir de kaolin de haute qualité, ce qui conférait à ses pièces un corps dense et délicat, ainsi qu’une couverte d’une blancheur éclatante et d’une texture lustrée.
Appréciée pour sa finesse, cette porcelaine blanche était classée parmi les tributs impériaux et jouissait d’une grande estime à la cour5. Lu Yu (733-804), célèbre maître du thé, décrivait dans son Classique du thé (Cha Jing)6 la porcelaine blanche du four de Xing comme « semblable à l’argent » et « pareille à la neige », des termes évocateurs qui reflètent la pureté et la beauté de ces créations.

Théière à couverte blanche, four de Xing, dynastie Tang (618 – 907)
Numéro d’inventaire : Xin 00082679, Musée du Palais de Pékin
https://www.dpm.org.cn/collection/ceramic/226955.html
Couverte « blanc ivoire » xiangyabai des fours Ding
Cependant, les guerres de la fin de la dynastie Tang ont entraîné le déclin des fours Xing et l’essor des fours Ding dans le Hebei, qui sont devenus l’un des cinq fours7 les plus célèbres de la dynastie Song (960-1279). Les fours Ding sont célèbres pour leur couverte chaude d’un blanc jaunâtre, connue sous le nom de « blanc ivoire », dont Liu Qi de la dynastie Jin (1115-1234) a fait l’éloge en disant que « la porcelaine de Dingzhou ou, la couleur du blanc du monde »8. La porcelaine blanche n’est pas seulement délicate, mais l’introduction de fleurs sculptées, de bouches serties et d’autres objets artisanaux confère à la porcelaine de la dynastie Song une plus grande valeur artistique. À cette époque, la couleur de la couverte de la porcelaine blanche était aussi douce que l’ivoire, révélant une beauté subtile.

Zun à trois pieds à couverte blanche avec motif de cordes, four Ding, Dynastie Song (960-1279)
Numéro d’inventaire : Gu 00145488, musée du Palais de Pékin
https://www.dpm.org.cn/collection/ceramic/228022
PORCELAINE À COUVERTE “BLANC-BLEUTÉ” QINGBAI DE JINGDEZHEN
Le succès des porcelaines du four Ding a inspiré de nombreuses imitations dans les fours du sud de la Chine, parmi lesquels le plus renommé est celui de Jingdezhen, connu pour sa couverte qingbai(青白).
La porcelaine qingbai de Jingdezhen, caractérisée par une teinte oscillante entre le bleu clair et le blanc, est célèbre pour ses décors gravés en creux. Aux endroits où la couverte, plus épaisse, s’accumule dans les motifs incisés, se développe une teinte légèrement bleutée, créant un effet visuel appelé yingqing (vert d’ombre).
Ces porcelaines furent non seulement prisées en Chine, mais également largement exportées. Dans son récit de voyage daté de 851, le marchand arabe Sulayman décrit ces bols fabriqués à partir d’une argile blanche : « Ils sont aussi beaux que du verre, et l’on peut voir le liquide qu’ils contiennent ».9
Sous le règne de l’empereur Zhenzong de la dynastie Song du Nord, entre 1004 et 1008, un édit impérial ordonna la production de porcelaines destinées à l’usage de la cour dans la ville de Changnan. Celle-ci fut alors rebaptisée Jingdezhen en hommage au règne Jingde, marquant le début de son histoire en tant que « capitale millénaire de la porcelaine ».

Théière inversée à couverte blanc-bleuté qingbai, four de Jingdezhen, Dynastie Song (960-1279)
Numéro d’inventaire : Xin 00099177, musée du Palais de Pékin
https://www.dpm.org.cn/collection/ceramic/226956
La couverte « claire-de-lune » yuebai du four Jun
Le four Jun, l’un des cinq grands fours de la dynastie Song du Nord (960–1127), est renommé pour ses riches couverte et ses effets de transformation au cours de la cuisson. Les anciens disaient : « Comparée au jade, la porcelaine de Jun est plus belle ; elle n’est pas du jade mais le surpasse en éclat. »
La teinte yuebai(月白), initialement utilisée pour décrire une étoffe d’un blanc légèrement bleuté rappelant la lumière de la lune, incarne l’élégance sobre et raffinée des couvertes du four Jun.
Ce qui distingue particulièrement la porcelaine de Jun est l’effet de transformation aléatoire de la couverte : « une couleur à l’entrée du four, mille teintes à la sortie. » La couverte blanc-lunaire, chef-d’œuvre de cette technique, reflète des tons et des textures d’une douceur lunaire sous la lumière, capturant la beauté unique de la porcelaine de Jun.

Zun10 à couverte claire-de-lune, four Jun, Dynastie Song (960-1279)
Numéro d’inventaire : Gu 00145451, musée du Palais de Pékin
https://www.dpm.org.cn/collection/ceramic/227008
PORCELAINE À COUVERTE “BLANC D’OEUF” LUANBAI DE LA DYNASTIE YUAN
Sous la dynastie Yuan (1271–1368), marquée par la prédilection des Mongols pour le blanc, les fours de Jingdezhen produisirent un nouveau type de teinte blanche, connu sous le nom de « blanc d’œuf ». Cette couverte, légèrement teintée de bleu, évoquait la teinte caractéristique de la coquille d’œuf de cane, d’où son appellation. Ces porcelaines, souvent ornées de motifs moulés, portaient parfois l’inscription « Shufu » (枢府), suggérant qu’elles étaient destinées à l’usage exclusif du Secrétariat militaire (Shumiyuan枢密院).

Plat à motif de nuage et dragon imprimé, à couverte blanc d’œuf, four de Jingdezhen, Dynastie Yuan (1271–1368)
Numéro d’inventaire : Xin 00083009, musée du Palais de Pékin
https://www.dpm.org.cn/collection/ceramic/227169
PORCELAINE À COUVERTE TIANBAI “BLANCHE SUCRÉE” DE LA DYNASTIE MING
Après la chute de la dynastie Yuan et l’ascension des Ming, sous le règne Yongle (1403-1424), un chef-d’œuvre de la porcelaine blanche vit le jour : la porcelaine à couverte « blanche sucrée ». Cette couverte est plus blanche et plus lisse que la couverte « blanc d’œuf », décrite comme étant d’une blancheur immaculée, semblable à de la graisse figée ou de la neige accumulée. Elle était particulièrement appréciée par l’empereur Yongle11, qui en fit un choix privilégié pour les objets rituels de la cour impériale. La porcelaine Yongle, à la couverte d’une blancheur éclatante, se distingue non seulement par sa couleur mais aussi par la finesse de son corps, presque aussi mince que du papier.12 Lorsqu’elle est éclairée, les motifs de dragons, de phénix et de fleurs entrelacées gravés sur le corps de la porcelaine apparaissent clairement, démontrant un savoir-faire exceptionnel.

Meiping13 à motifs de lotus entrelacés gravés, à couverte « blanche sucrée », règne de Yongle(1403-1424) ?
Numéro d’inventaire : Xin 00142804, musée du Palais de Pékin
https://www.dpm.org.cn/collection/ceramic/226798
“BLANC DE CHINE” DES FOURS DE DEHUA
Lorsqu’on parle de porcelaine blanche, le « Blanc de Chine » de Dehua, dans la province du Fujian, est sans doute le plus renommé. La couverte de la porcelaine de Dehua est d’une pureté éclatante, particulièrement lumineuse sous la lumière. Depuis la dynastie Ming (1368-1644), la porcelaine blanche de Dehua est devenue un produit phare à l’exportation et a acquis une renommée internationale sous le nom de « Blanc de Chine »14. Le four de Dehua, qui remonte à la dynastie Song (960-1279), utilise une argile à faible teneur en fer pour produire des porcelaines d’une brillance délicate, souvent surnommées « blanc ivoire » ou « blanc de graisse de porc ».

Statue de Guanyin assise à couverte « blanc de chine », four de Dehua, Dynastie Ming (1368-1644)
Numéro d’inventaire : Gu 00202294, musée du Palais de Pékin
https://www.dpm.org.cn/collection/ceramic/226838
La pureté et l’élégance sobre de la couverte blanche de la porcelaine ne reflètent pas seulement le sommet de l’art céramique chinois antique, mais portent également de manière profonde l’esprit du « blanc » dans l’esthétique traditionnelle chinoise. Dans la culture chinoise, le blanc n’est pas un vide, mais un symbole riche en significations. Il représente la pureté, la lumière et même un état spirituel transcendant du monde matériel. La technique de « laisser du blanc » dans la peinture et la calligraphie illustre encore davantage la philosophie de l’esthétique chinoise, « l’interaction entre le vide et le plein », mettant l’accent sur la beauté de l’espace et de l’invisible. Cette beauté simple et éthérée se manifeste pleinement dans la couverte blanche de la porcelaine : elle n’a pas besoin de couleurs vives, mais par le jeu délicat de la lumière et de l’ombre, elle exprime une beauté subtile qui invite à une réflexion profonde dans la simplicité. En ce sens, la porcelaine blanche n’est pas seulement un objet, mais une expression matérielle de l’esprit de la culture chinoise, portant en elle un hommage à la nature et à la vie, tout en perpétuant la quête esthétique intemporelle de la « beauté sobre et élégante ».
- Peter, Lam. Au cœur de de couleur, Chefs-d’œuvre de la porcelaine monochrome chinoise (8e-18e siècle). LIENART. Paris, 2024. ↩︎
- Le kaolin est une argile blanche utilisée comme matière première dans la fabrication de la porcelaine, nommée d’après la colline de Kaoling (高岭) dans le Jiangxi, Chine. ↩︎
- Le petuntse, ou “pierre de porcelaine,” est un feldspath utilisé en combinaison avec le kaolin pour produire la porcelaine, apportant sa translucidité et sa solidité. ↩︎
- Besse, Xavier. Atelier du potier : Techniques de fabrication des céramiques chinoises. Institut National du Patrimoine, s. d. https://guimet-grandidier.fr/essais/atelier-du-potier_01.php. ↩︎
- « Définition du Four de Xing ». Musée du Palais de Pékin, s. d. https://www.dpm.org.cn/lemmas/241877.html. ↩︎
- Lu, Yu. Le Classique du thé(茶经), s. d. ↩︎
- L’idée des « cinq grands fours » de la dynastie Song (960-1279) apparaît pour la première fois dans le catalogue des collections impériales de la dynastie Ming, Xuan de Dingyi Pu (《宣德鼎彝谱》) : « Parmi les pièces des fours célèbres Ru, Guan, Ge, Jun et Ding conservées dans les réserves impériales, celles dont les styles sont élégants sont illustrées et présentées. » ↩︎
- Liu, Qi. Journal du retour au repos (归潜志, Gui Qian Zhi), 1279. ↩︎
- Ye, Zheming. « Porcelaine blanche translucide de Ding et autres (定窑透影白瓷及其它) ». Revue du musée du Palais de Pékin, s. d. https://www.dpm.org.cn/ceramics/talk/203572.html. ↩︎
- Un zun est un type de vase chinois ancien, souvent en bronze ou en céramique, caractérisé par une forme évasée et utilisé principalement comme récipient rituel ou décoratif. ↩︎
- Li, Wei. « L’Empereur Yongle et la ‘porcelaine blanche douce 永乐皇帝与‘甜白瓷’ ». Revue du musée du Palais de Pékin, s. d. https://www.dpm.org.cn/ceramics/talk/204281.html. ↩︎
- Huang, Yizheng. Recueil des objets divers (Shiwu ganzhu事物绀珠), 1591. ↩︎
- Le meiping tire son nom de sa petite ouverture, évoquant la finesse et la délicatesse des branches de prunier (mei). Ce vase se distingue par sa forme élancée, son col étroit, son épaule large et arrondie, son corps légèrement effilé vers la base et son pied annulaire. Parfois, il est doté d’un couvercle. À l’origine conçu comme récipient à vin, il gagne en popularité à partir de la dynastie Song. ↩︎
- « Blanc de Chine(德化白瓷) ». Revue du musée du Palais de Pékin, 2009. https://www.dpm.org.cn/explode/others/208134.html. ↩︎
Bibliographie
Besse, Xavier. « Atelier du potier : Techniques de fabrication des céramiques chinoises ». Institut National du Patrimoine, s. d. https://guimet-grandidier.fr/essais/atelier-du-potier_01.php.
« Blanc de Chine(德化白瓷) ». Revue du musée du Palais de Pékin, 2009. https://www.dpm.org.cn/explode/others/208134.html.
China national arts and craft society. « Le blanc chatoyant : les nuances de couleur entre les porcelaines blanches (五彩斑斓的白——白瓷之间也有颜色区别) ». 2022. https://m.cnacs.net.cn/19/202211/4364.html.
« Définition du Four de Xing ». Musée du Palais Impérial de Pékin, s. d. https://www.dpm.org.cn/lemmas/241877.html.
Huang, Yizheng. Recueil des objets divers (Shiwu ganzhu事物绀珠), 1591.
Li, Wei. « L’Empereur Yongle et la ‘porcelaine blanche douce (永乐皇帝与”甜白瓷”) ». Revue du musée du Palais de Pékin, s. d. https://www.dpm.org.cn/ceramics/talk/204281.html.
Liu, Qi. Journal du retour au repos (归潜志, Gui Qian Zhi), 1279.
Lu, Yu. Le Classique du thé(茶经), 760.
Peter, Lam. Au cœur de de couleur, Chefs-d’œuvre de la porcelaine monochrome chinoise (8e-18e siècle). LIENART. Paris, 2024.
Ye, Zheming. « Porcelaine blanche translucide de Ding et autres (定窑透影白瓷及其它) ». Revue du musée du Palais de Pékin, 1912. https://www.dpm.org.cn/ceramics/talk/203572.html.