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En l’an 692 et jusqu’en 1872, fut adopté le calendrier lunaire japonais, repris sur le modèle du calendrier chinois mis au point depuis 443. Le fonctionnement du calendrier était basé, comme son nom l’indique, sur les phases de la lune : les mois étaient ainsi organisés en « lunaisons » et se composaient par alternance de vingt-neuf (des « mois courts », shô no tsuki) ou de trente jours (des « mois longs », dai no tsuki). Sur une période de trois cent soixante-cinq jours, comprenant un tour entier de la Terre autour du Soleil, il devait arriver qu’il faille ajouter un mois supplémentaire tous les trois ans environ, appelé le urû no tsuki. Bien que l’ajout de ce mois était prévu de manière invariable sept fois dans un cycle de dix-neuf ans selon un ordre bien défini, sa place au sein de l’année en elle-même était bien plus aléatoire.
Organisation inconnue à l’avance, les calendriers prirent toute leur importance, informant la population des mois courts et des mois longs à venir. L’édition de ces listes demeurèrent néanmoins un monopole de l’état jusqu’en 1765 : les éditeurs étaient sévèrement contrôlés et les publications « clandestines » étaient punies par la loi. C’est ainsi que virent le jour les e-goyomi, des estampes dans lesquelles les artistes inventifs cachèrent des détails sur l’organisation de l’année à venir que seuls les plus cultivés pouvaient comprendre, au sein de cercles littéraires ou de réunions intellectuelles, dans la mesure où souvent, ces estampes étaient imprégnées de références culturelles, de parodies nommées mitate.
Suzuki Harunobu fut un des premiers artistes produisant ce type d’estampes. Très proche de ces intellectuels fraichement mentionnés, et en plus de fournir des compositions des plus intéressantes, mit au point une technique nouvelle : les « estampes de brocart » ou nishiki-e, oeuvres colorées dont les premiers exemples étaient en réalité des e-goyomi. Ainsi, nous étudierons au sein de ce article l’estampe Belle chevauchant un phénix, réalisée vers 1765 dans un format chûban (20.5 × 27.7 cm), selon la problématique suivante : de quelle façon Harunobu parvint-il à animer son estampe-calendrier e-goyomi de références culturelles chinoises, en popularisant conjointement le genre nouveau des estampes de brocart, les nishiki-e ?
Il s’agira de nous pencher d’une part sur l’aspect technique de cette oeuvre, empruntant son iconographie à la mythologie taoïste ; d’autre part, sur la fonction de ces estampes de calendrier en analysant la manière dont les cercles intellectuels pouvaient décrypter les détails de cette e-goyomi ; et enfin, l’émergence des nishiki-e d’Harunobu dont cette estampe fut un des premiers témoins.
UN EMPRUNT À LA MYTHOLOGIE TAOÏSTE AU TRAVERS D’UNE ESTAMPE JAPONAISE
Description
Harunobu fut relativement inspiré par les belles femmes ; la composition de cette estampe ne peut échapper à celles des bijin-ga. Une belle et jeune femme occupe une position centrale et majestueuse, chevauchant un phénix ; dans un axe qui maintient la verticalité de la composition, elle est vêtue d’un kimono traditionnel aux nombreuses couches de tissu dont les manches, portant la même couleur que son obi, sont ornées de fleurs. Le reste du vêtement porte quant à lui de petits losanges réalisés dans une grande virtuosité ; une finesse caractéristique du travail de Suzuki Harunobu. Sa coiffure élaborée est représentative de celles des courtisanes de haut rang, composées d’ornements, de barrettes et de peignes ondulant ses cheveux.
La jeune fille tient dans ses mains un orgue à bouche, que l’on peut nommer shô : il s’agit d’un instrument de musique classique chinois dont les premières apparitions se firent partir de 1100 avant J.-C. Cet instrument pût être daté grâce à sa mention sheng dans le Classique des vers ou Les Trois Cent Poèmes : recueil de textes daté du XIe au Ve siècle av. J.-C. Composé d’une chambre à vent entre dix-sept tuyaux de bambous, cet instrument est relativement raffiné et s’impose dans la culture classique asiatique. Selon une étude de la Philharmonie de Paris, la forme et l’organisation des tuyaux de cet orgue à bouche reprend celle des ailes du phénix, en vol puis repliées : voici ainsi un élément permettant de faire des liens iconographiques au sein de la composition.
Le second élément principal de l’estampe n’est autre que le phénix sur lequel se tient majestueusement la jeune fille, dont le vêtement se mêle avec virtuosité aux longues plumes ondulantes de la queue de l’oiseau. Situé dans une certaine diagonale, la tête descendant vers l’avant, le phénix en vol déploie ses ailes composées de nombreuses plumes ajoutant du mysticisme à la scène. L’oiseau semble se diriger dans le coin droit de l’estampe orné de végétaux et de fleurs, s’avérant être des feuilles de paulownia. Surnommé l’arbre « impérial », cette variété de plante ne figure pas ici sans hasard. Elle ajoute à la scène un côté luxueux et majestueux, qui est déjà d’une part, rendu par la jeune fille juchée sur son oiseau.
Des références à la culture chinoise taoïste
Si le thème de la jeune fille chevauchant des animaux tels que l’oie, la tortue à longue queue, l’éléphant banc ou la carpe est relativement traditionnel dans la culture japonaise – notamment en ce qui concerne les images produites à l’occasion du Nouvel An -, c’est de la mythologie chinoise taoïste dont elle se rapproche ici. Selon diverses sources, le motif de la jeune fille volant sur le dos d’un phénix a été assimilé au mythe d’un sage chinois nommé Fei Zhangfang : il semblerait qu’il y ait eu confusion en ce qui concerne le mythe de ce vieillard médecin désireux d’acquérir l’immortalité, guérissant les maladies et combattant les démons. Etymologiquement parlant, peut-être pouvons nous l’expliquer par le caractère de son nom Fēi, signifiant « voler ».
Toutefois, la connaissance de la mythologie chinoise suggérerait de rapprocher le thème de l’estampe d’Harunobu à un des Huit Immortels chinois, divinités du taoïsme et de la religion populaire chinoise. En effet, si aucune allusion à un voyage de Fei Zhangfang sur une grue n’est mentionnée dans le volume quatre-vingt deux du Livre de la dernière dynastie des Han, « Le soixante-douzième livre de la biographie de l’alchimie » ; cette iconographie reflète entièrement celle de Han XiangZi traditionnellement représenté tel un jeune homme jouant de la flûte, en qualité de patron des musiciens. Quant à la représentation relativement commune des « Huit Immortels traversant la mer » dans laquelle chacune des divinités transforment leur talisman, leur symbole, en embarcation pour rentrer d’une visite sur l’île magique de Penglai, le motif de la grue y est toujours figuré : il s’agit en effet de l’iconographie accompagnant le dieu joueur de flûte Han XiangZi.

Les symboles de l’estampe d’Harunobu sont alors plus aisément compréhensibles : dans la mesure où l’iconographie animée dans de nombreuses estampes telles que celle-ci est souvent nommée « Immortel sur une grue divine », la jeune femme pourrait alors être une personnification de la divinité taoïste Han XiangZi ; son orgue à bouche assimilé à sa flûte ainsi que son phénix à sa « grue divine », autrement dit, l’oiseau monté par des immortels (le sang du phénix rendant l’oiseau lui même impérissable). L’oiseau sur lequel vole la jeune femme est par ailleurs une transposition du phénix chinois mythique fenghuang, qui règne sur tous les autres espèces volantes (considéré comme le plus sage des oiseaux, il est l’emblème personnel de l’impératrice de Chine, tandis que celui de l’empereur demeure le dragon, espèce de qui il est très fréquemment rapproché dans l’iconographie chinoise), à la culture japonaise qui l’a renommé hō. Cette espèce se caractérise par ailleurs par une longue trainée de plumes, un cou en écailles de tortue et un plumage jaune, rouge et noir : des caractéristiques globalement représentées ici. De plus, l’iconographie relative à celle du phénix mentionne sans exception sa figuration dans la direction du sud : ici, la tête de l’oiseau est bel et bien orientée dans cette direction, comme dans beaucoup d’estampes de cette époque qui reprennent le même thème. Enfin, le hō est très généralement représenté aux alentours d’une plante bien particulière : les paulownia, dont les fleurs sont effectivement dessinées par Harunobu.
Ainsi, cette estampe s’avère être animée de nombreuses références à la mythologique taoïste chinoise : notons la personnification de la divinité Han XiangZi par la jeune femme, la musique traditionnellement évoquée par la présence d’une flûte qui est ici représentée par un orgue à bouche, ainsi que la grue divine chinoise sous les traits d’un phénix japonais renommé hôô.
DES ESTAMPES DE CALENDRIERS À LA FONCTION AUSSI INTELLECTUELLE, SOCIALE QUE LUDIQUE
La dissimulation d’indices calendaires par des références culturelles
En plus de proposer une composition particulièrement esthétique et gracieuse, Suzuki Harunobu conféra à son estampe Belle chevauchant un phénix un caractère intellectuel à des fins calendaires, mis à la disposition des cercles culturels qu’il fréquentaient régulièrement.
À partir de 1765 ont été éditées des nombreuses images luxueuses à l’occasion de Nouvel-An, prenant ainsi le rôle caché des e-goyomi, des calendriers sous forme d’estampes. Bien que ces images n’étaient pas totalement inédites (le premier e-goyomi datant environ de 1686), ce genre a prospéré durant l’ère Meiwa (1764-1771), mais les lois du shogunat au pouvoir imposaient que seule une poignée d’éditeurs était officiellement autorisée à produire des calendriers pour le public. Cependant, les e-goyomi devinrent un des principaux centres d’intérêt des riches mécènes de ces cercles qui se mirent à en commander à des artistes tels qu’Harunobu : des samuraïs passionnés de littérature classique et des riches marchands s’échangeaient ces images au cours de réunions relativement fermées, qui de ce fait, parvenaient à échapper aux contraintes de leur illégale diffusion de masse. C’est donc pourquoi l’organisation de l’année, les mois courts et longs à venir, étaient annoncés de manière subtile sous forme d’images, incarnés par des codes, des rébus, des parodies ou des allusions à des oeuvres littéraires classiques, des mythes chinois, des croyances extrême-orientales qui étaient pour une grande part inaccessibles, mais bien lisibles pour les intellectuels et les amateurs. Tels des indices, les informations n’étaient pas évoquées clairement mais se laissaient déduire. Les références à la culture chinoise, franchement étudiées, prennent au sein de l’estampe d’Harunobu Belle chevauchant un phénix tout leur sens : la fonction sociale et culturelle de ces e-goyomi témoignait bien du goût pour les défis culturels de ces hommes lettrés, qui de toute évidence, étaient assez cultivés pour comprendre immédiatement la référence animant cette estampe. Les renvois à l’instrument chinois, à l’oiseau mythique, aux motifs impériaux en plus du mythe chinois de la divinité Han XiangZi duquel cette estampe est rapprochée, sont à bien des égards des motifs culturels classiques qui sont fréquemment reproduits dans les estampes dédiés à la Nouvelle Année. En plus de rechercher dans sa composition les indications calendaires, les intellectuels se plaisaient à identifier le mythe chinois dont il était question au sein de cette estampe d’Harunobu. Ainsi, les artistes conçurent des sortes de jeux, induisant une certaine gymnastique d’esprit qui pouvaient s’incarner sous diverses formes.
Il y eut d’une part, en ce qui concerne l’estampe d’Harunobu Belle chevauchant un phénix, des indices sous forme décorative : les indications calendaires peuvent, en effet, se cacher au sein d’ornements, d’objets mais plus fréquemment dans des vêtements. Ici, les chiffres des longs mois sont à chercher au niveau des manches du kimono de la jeune fille. Par ces indications fournies par l’artiste, l’amateur pouvait déduire, en sachant quels mois étaient composés de trente jours, ceux qui n’en étaient composés que de vingt-neuf et ainsi comprendre le déroulement de l’année lunaire à venir.
Contrairement à ce que nous venons d’étudier avec Belle chevauchant un phénix, et parmi de nombreuses autres formes d’e-goyomi qu’on ne pourrait toutes évoquer ici (telles que les moji-e, les poèmes…), les indices informant le lettré de la composition de l’année peuvent intervenir selon des motifs figuratifs : nous pouvons user de l’exemple explicité par Marianne Simon-Oikawa dans son ouvrage Extrême-Orient Extrême-Occident, « Le temps codé : les calendriers en images (e-goyomi) au Japon » ; le coq du zodiaque perché sur un tambour dans le calendrier de 1789 (Daishô goyomi harimaze-chô). Ici, les codes à déchiffrer ne sont pas rendus par des nombres à lire, comme dans l’estampe Belle chevauchant un phénix, mais bien par une figure à comprendre. L’amateur pouvait déduire dans cette estampe que les longues plumes de la queue du coq correspondaient aux mois longs de l’année, les « dai no tsuki », et les plumes courtes s’apparentaient aux mois courts, les « shô no tsuki ». Cette façon de faire passer le message pouvait toutefois ne pas sembler assez subtile : ainsi, l’artiste a souhaité contourner cette facilité en dissimulant ses codes dans les feuilles de lierre, tombant du tambour sur lequel le coq est juché. Ainsi, remarquons qu’elles sont au nombre de treize, différenciées par deux tailles différentes : les grandes feuilles correspondent aux mois longs, tandis que les plus petites correspondent aux mois courts. Cette disposition des éléments révèle, en plus de la prouesse de l’artiste, une fonction réservée à une élite d’intellectuels qui cependant ne tarderait bientôt à devenir illisible.

La ré-édition des estampes « périmées »
Si les estampes e-goyomi prenaient toute leur fonction par leurs indications calendaires cachées, elles demeuraient néanmoins des oeuvres d’art qui gagnaient à être longuement contemplées par leur composition luxueuse, la richesse des matériaux employés, la finesse des motifs permise par les prouesses techniques des artistes qui en sont à l’origine. Il arrivait qu’une fois l’année passée, ces estampes puissent être considérées comme « périmées » et être ainsi détruites : cela expliquerait le nombre si peu important de calendriers-estampes qui nous soit aujourd’hui parvenu. Cependant, d’autres estampes avaient tant de succès qu’il arrivait que les indications calendaires assez claires, telles que les chiffres inscrits au niveau d’objets ou de vêtements visibles dans Belle chevauchant un phénix, soient retirés pour que l’estampe puisse être ré-éditée et largement diffusée dans ses pleins droits, appréciée pour sa beauté. L’exemple que nous avons choisi de traiter avec l’estampe d’Harunobu s’avère pertinent, dans la mesure où un exemplaire de la version de l’estampe comme calendrier est conservé à la Clarence Buckingham Collection (et présenté à plusieurs reprises au sein d’expositions dédiées aux e-goyomi, à l’Art Institute of Chicago notamment) ; mais un exemplaire de sa version ré-éditée sans ses indications informant l’amateur de la composition de l’année est conservé à la Bibliothèque nationale de France. Ces deux exemplaires nous permettent ainsi de faire la différence entre les deux versions de l’estampe qui, bien des siècles plus tôt, étaient chargées d’une fonction sociale et culturelle très forte. En plus des chiffres absents, les couleurs sont ici légèrement différentes et les inscriptions dans le coin droit de l’estampe ont été supprimées.


© Bibliothèque nationale de France
UN DES PREMIERS TÉMOINS DES “ESTAMPES DE BROCART” : LA POPULARISATION DES NISHIKI-E
Les estampes e-goyomi eurent un rôle fondamental dans la culture japonaise par leur originalité, leur fonction, leur symbolique. Suzuki Harunobu fut en effet un des principaux artistes ayant réalisé ces calendriers-estampes ; cette activité le mena à la mise au point d’une technique nouvelle, donnant un souffle décisif au développement du genre de l’estampe à la période d’Edo : les estampes polychromes « de brocart », ou appelées les nishiki-e. Les e-goyomi furent ainsi les toutes premières estampes colorées de l’artiste et le perfectionnement extrêmement coûteux de ce procédé a en réalité été permis grâce au goût des riches mécènes pour les luxueuses estampes de calendriers qui commencèrent à lui commander des estampes rehaussées de sept ou huit couleurs. Une production de plus en plus raffinée survint donc pour devenir désormais polychrome : les couleurs pouvaient ainsi être multipliées grâce à une dizaine de planches de bois portant les couleurs à imprimer sur un papier de grande qualité de type hôsho.
Auparavant, les estampes étaient monochromes, pour ensuite être colorées à la main par un peintre d’estampes (notamment par l’usage de la couleur orangée de plomb, tan, puis celui du pourpre, beni, et enfin du jaune, vert et violet). Aux alentours de 1744, le processus commença à prendre un autre tournant, qui impliquait un procédé xylographique évitant aux peintres d’avoir à colorer les estampes une par une ; les premiers artistes usant de cette technique étant Okumura Masanobu ou Ishikawa Toyonobu. C’est alors en 1765, année de la réalisation de son estampe Belle chevauchant un phénix, qu’Harunobu contribua à mettre au point la technique la plus importante du développement de l’estampe, les nishiki-e. Le processus peut être défini comme tel : une planche de bois principale comportait les traits du dessin, et de nombreuses autres planches de bois permettant d’appliquer chaque couleur dans une zone particulière de l’estampe. Ainsi, Harunobu fut un des premiers artistes à user de plus de trois couleurs dans ses productions :
« Harunobu s’essaya avec succès aux impressions à couleurs multiples, aux pigments recherchés, qui nécessitaient parfois une quinzaine de bois gravés. Agrémentées de gaufrages, de fonds marbrés, de poudres de métaux et de mica, de dégradés, ces « images de brocart », au nom évocateur dû à leurs chatoyantes couleurs, de format chûban, supplantèrent vers 1765 les estampes imprimées en deux ou trois couleurs. »
(Bibliothèque nationale de France : « Image de calendrier, « Beauté sautant dans le vide depuis le balcon du temple KiyomIzu », Harunobu Suzuki, 1765 »).
Pour que les planches de bois soient toujours disposées au même endroit, sans risquer de décaler le dessin au bout de quelques impressions, fut mis en place un procédé fait de marques de repérage que l’on peut nommer kentō. Harunobu expérimenter sa technique en bénéficiant du soutien financier des mécènes qu’il côtoyait au sein des cercles intellectuels : il testa divers bois d’imprimerie (usant du cerisier par exemple), les couleurs employées étaient extrêmement couteuses et appliquées en épaisses couches. Le papier eut lui aussi toute son importance, car une bonne impression ne pouvait se passer d’un support de diffusion de qualité : blanc et souple, un quart d’une feuille de papier de type hoshō était souvent utilisé pour le format chūban (de dimensions 28 x 20 cm environ) qui était en réalité le plus courant pour ces « images de brocart », le ōbōsho.
L’estampe d’Harunobu Belle chevauchant un phénix est ainsi un des premiers exemples d’egoyomi colorées, sous forme de nishiki-e. Les couleurs sont variées dans les tons ocres, roses, jaunes ; de fines nuances sont perceptibles dans le plumage du phénix, dans le kimono de la jeune fille, faisant de cette estampe un chef d’oeuvre d’un nouveau genre de l’ukiyo-e. Remarquons néanmoins le perfectionnement de la technique dans la version ultérieure de l’estampe avec des couleurs plus opaques, plus prononcées, animée de roses plus vifs, le plumage de l’oiseau plus nuancé.
Pour conclure, cette estampe dite e-goyomi est une des nombreuses estampes de calendrier qui ont proliféré au XVIIIe siècle au Japon : si l’organisation de l’année était inconnue à l’avance, les peintres d’estampes s’adonnèrent à la production d’oeuvres à la fonction aussi ludique que sociale : elles représentaient d’une part un jeu d’esprit dissimulant des indications calendaires, et étaient destinées d’autre part à des cercles d’intellectuels qui se plaisent à contempler et « lire » des compositions empruntes de références classiques japonaises ou, ici, chinoises. Le mythe de Han XiangZi fut alors au centre d’une composition luxueuse personnifiée par une jeune fille sur son phénix : une estampe de cette envergure ne pouvait se destiner, une fois l’année passée, à être détruite. C’est ainsi que furent ré-éditées celles qui eurent du succès, sans les indications calendaires qui étaient interdites par la loi. Ces estampes donnèrent par ailleurs naissance au fameux genre nishiki-e mis au point par Harunobu, dont le procédé fut amené à son paroxysme.
Bibliographie sélective :
Iwao Seiichi, Iyanaga Teizō, Ishii Susumu, Yoshida Shōichirō, Fujimura Jun’ichirō, Fujimura Michio, Yoshikawa Itsuji, Akiyama Terukazu, Iyanaga Shōkichi, Matsubara Hideichi, Dictionnaire historique du Japon, volume 16, 1990. Lettres N (2), O, P et R (1) p. 4.
LAMBERT Giselle, Estampes japonaises : mémoires et merveilles de la Bibliothèque Nationale de France, Paris, 2007, Ed. Bibliothèque nationale de France, France-Loisirs, novembre 2007, broché, 174 p., illustrations en couleur.
SIMON-OIKAWA Marianne, « Le temps codé : les calendriers en images (egoyomi) au Japon », Extrême-Orient Extrême-Occident [En ligne], 30 | 2008, mis en ligne le 01 octobre 2011, consulté le 22 avril 2021. URL : http://journals.openedition.org/extremeorient/102 ; DOI : https://doi.org/10.4000/extremeorient.102
Egoyomi: Picture Calendars for the New Year, Art Institue of Chicago, Gallery 107, 19/12/2019 – 23/02/2020. URL : https://www.artic.edu/artworks/44206/young-woman-riding-a-phoenix
« Image de calendrier », BnF – L’estampe japonaise, Bibliothèque nationale de France. URL : http://expositions.bnf.fr/japonaises/grand/033.htm
Cet article est issu d’un commentaire d’oeuvre de troisième année universitaire, réalisé en mai 2021.