L’exposition Contemplations japonaises, présentée au Centre Jacques Brel, a mis en lumière l’art de l’estampe japonaise à travers une sélection d’œuvres issues de la prestigieuse collection Georges Leskowicz. Elle explorait principalement l’époque Edo (1603-1868), période florissante pour l’ukiyo-e, avec des artistes emblématiques tels qu’Utamaro, Hokusai, Hiroshige et Toyokuni.

Le Centre Jacques Brel, à Thionville, est un lieu culturel ouvert à tous, proposant expositions, ateliers tout au long de l’année. Avec sa programmation variée, il met en avant des artistes d’horizons divers et favorise les rencontres autour de l’art.
Cette exposition fut ainsi l’occasion de s’intéresser à la représentation des femmes dans l’estampe japonaise, illustrant des scènes de la vie quotidienne, de la mode et des arts, tout en offrant un regard sur la subtilité et le raffinement de cet art graphique. En parallèle, elle a pu établir un dialogue avec l’artiste contemporaine Makiko Furuichi, dont le travail s’inspire des codes esthétiques japonais tout en apportant une approche moderne.
Conçue comme une invitation à la contemplation, l’exposition proposait un parcours révélant l’héritage artistique et culturel de l’estampe japonaise, ainsi que son influence durable sur l’art occidental et contemporain.
L’ARACA a eu la chance de pénétrer les coulisses de l’exposition Contemplations japonaises et d’échanger avec Mazarine Lambert, chargée de mission au Centre Jacques Brel. À travers cette rencontre, nous avons pu en apprendre davantage sur la conception de l’exposition, le travail mené avec la collection Georges Leskowicz, ainsi que les choix scénographiques et pédagogiques qui permettent au public de découvrir l’estampe japonaise à Thionville.
Vous trouverez ici cet échange passionnant, éclairant les défis et enjeux du commissariat d’exposition !

Le commissariat d’exposition
Mazarine, quel a été ton rôle tout au long de la conception de cette exposition ? Et celui des autres membres de l’équipe ?
Je suis chargée de mission. C’est un rôle pluridisciplinaire qui fait la richesse de ce métier. Lors de cette exposition, j’ai été chargée des recherches sur l’objet de l’estampe, sur le thème de la femme dans l’estampe et sur la culture japonaise à l’époque Edo. Je me suis également chargée de la communication de l’exposition, et notamment des relations presse.
Dans l’équipe, nous sommes toutes très complémentaires. Caroline Rinaldi, la directrice, a été en contact direct avec le collectionneur Georges Leskowicz ainsi qu’avec ses collaboratrices afin de monter ce projet dans sa totalité. Sabrina Bordin, elle, est coordinatrice. Elle s’est principalement chargée de tout la logistique et la régie de l’exposition entre autres.
Nous avons également fait appel à une graphiste freelance : son travail a été de retravailler le visuel de l’estampe choisie pour l’affiche. En effet, nous avons demandé à faire modifier le fond de l’estampe d’Utamaro. Nous avons préféré la couleur verte pour faire ressortir les silhouettes des courtisanes à la couleur papier originale de l’estampe.
Comment est né ce projet d’exposition ?
Ce projet est né lors de l’exposition “Paysages” qui s’est tenue au CJB en 2020. Nous avions eu un premier contact avec le collectionneur pour le prêt de six estampes de Hiroshige, qui avaient été très bien accueillies par le public. En 2025, le Japon accueillera l’exposition universelle, cela permettait de faire un parallèle avec cet événement. On voit également un engouement assez général de la part du public pour l’art et la culture japonaise !
Quelles ont été les principales difficultés ou défis rencontrés dans l’élaboration de cette exposition et comment les avez-vous surmontés ?
Il y a eu deux challenges. Le premier a été de choisir un thème, un axe de commissariat pour cette exposition dans la mesure où la collection de Georges Leskowicz compte plus de 4 000 estampes traitant de sujets très variés. Il fallait donc choisir un axe d’exposition précis pour resserrer le sujet. Notre choix s’est porté assez naturellement sur l’image de la femme. Elle est beaucoup représentée dans les estampes mais le sujet en lui-même est peu exploité d’après l’une des collaboratrices du collectionneur.
Le deuxième a été de s’assurer que notre lieu est en capacité de recevoir des œuvres aussi précieuses et rares, respecter toutes les conditions de conservation et d’exposition des estampes. Le commissariat s’est donc fait en concertation avec Georges Leskowicz et la direction et ses collaboratrices.
La collaboration avec les partenaires et la Fondation Leskowicz
L’exposition repose en effet sur la collection de Georges Leskowicz, qui possède l’un des plus importants fonds d’estampes japonaises en Europe. Comment s’est initiée la collaboration avec lui et la Fondation ?
C’est en 2020 qu’un premier contact a eu lieu pour le prêt des six estampes de Hiroshige : toute l’équipe a rêvé devant ces merveilles. Nous avons souhaité un projet plus ambitieux, mais malheureusement, le Covid a mis le monde à l’arrêt et tous les projets culturels avec lui. L’échange s’est un peu arrêté, mais on avait toujours ça en tête : une exposition de plus grande envergure.
Suite à l’épidémie, la Fondation avait engagé des projets avec d’autres institutions. On a donc dû trouver le moment opportun pour pour pouvoir présenter toutes ces estampes. Cette longue période de 2020 à 2024 nous a permis de rencontrer les collaboratrices de Georges Leskowicz et de mûrir le projet !
Il y a eu énormément d’échanges écrits, parlés, en face à face aussi. Cela a permis d’amener une relation de confiance entre eux et nous pour qu’ils acceptent ce projet : des estampes d’une telle qualité et rareté ne sont normalement présentées que dans des institutions muséales. C’est assez exceptionnel de pouvoir les montrer à Puzzle.
Y a-t-il eu un dialogue particulier avec Georges Leskowicz sur les œuvres à sélectionner ? Quels ont été les échanges les plus marquants ?
Il y en a énormément, plus de 4 000. On a voulu savoir si on pouvait présenter des femmes dans leur vie quotidienne, soit dans des moments d’intimité, dans des scènes de maternité, des geisha, des oiran… On ne savait pas trop, donc on a un petit peu élargi ce sujet. Et puis, chaque peintre a sa spécificité. Utamaro peint des portraits assez détaillés dans des scènes très intimes.
Lorsque l’on a proposé ce thème à Georges Leskowicz, il a trouvé ça tout de suite très intéressant – notamment l’axe de la présentation de toutes ces femmes. Déjà, par le caractère exceptionnel de cette thématique, de placer la femme de manière centrale dans cette exposition, mais il a également aimé l’idée d’avoir l’opportunité de montrer l’évolution des représentations des femmes à travers le temps – l’évolution de la mode, de la main d’artistes de décennies différentes. Il y a vraiment cette évolution de la représentation de la femme dans les estampes.

Comment s’est articulé le travail de recherche autour de ces oeuvres ?
Il y a eu un très gros travail de recherche de la part de toute l’équipe. Même si chacune a son rôle, on est très complémentaires. On a regardé des documentaires, lu des livres, des articles, regardé des interviews pour s’immerger dans cette culture, dans les pratiques artistiques de l’estampe, dans la représentation des femmes à l’époque Edo. Déjà, pour
notre culture personnelle et ensuite pour la partager avec notre public. C’est vraiment très important.
Mais c’est quelque chose qu’on fait pour toutes nos expositions. On ne présente jamais un sujet et des œuvres sans les connaître le plus possible. Notre rôle, c’est de transmettre, de partager toutes nos connaissances, et en accumuler sur le parcours des artistes représentés, sur leur technique, sur leur spécificité. On ne va pas présenter de la même manière Utamaro, Eishi ou Hiroshige : ils ont des parcours très différents.
Il y a aussi eu un travail de sélection de toutes ces recherches. On essaie de les condenser un maximum et de trouver les informations, même si elles sont toutes très intéressantes, les plus pertinentes dans notre exposition. Il s’agissait de savoir les adapter non seulement au public adulte, mais aussi au public enfant, à un public averti, mais aussi à un public néophyte.
Cette exposition implique une dimension contemporaine avec l’artiste Makiko Furuichi. Comment s’est organisée cette collaboration et quel était l’objectif de ce dialogue entre tradition et modernité ?
Le cœur du projet de l’association Centre Jacques Brel, c’est de montrer une programmation contemporaine à notre public. Cela nous semblait important de contrebalancer les estampes avec une artiste contemporaine, de proposer un travail d’aujourd’hui, d’une artiste japonaise, née au Japon. Le but n’était pas seulement de trouver un ou une artiste japonaise, parce que la personne était japonaise, mais de pouvoir lier son travail avec les estampes. Ce qui est très intéressant dans le travail de Makiko, c’est qu’elle travaille le textile : on a deux tissus teints qui rappellent tous ces kimonos superbes qu’on voit dans les estampes. Makiko travaille beaucoup avec des végétaux qui sont représentés dans les kimonos, ces motifs assez répétés. Et puis, son travail est emprunt de symboles de la culture japonaise, du folklore japonais. Il s’agissait de vraiment mettre en regard des artistes illustres d’antan avec un regard contemporain, mais toujours avec un lien.

Organisation et logistique de l’exposition
Comment s’est déroulée la mise en place de la scénographie ? Quels choix ont été faits pour mettre en valeur les œuvres et respecter leur intégrité ?
On a choisi de ne pas séparer les œuvres d’un même artiste, pour plus de cohérence et de compréhension. On a fait un parcours historique. On commence par une œuvre assez importante : La chasse aux lucioles de Chōki, qui est l’une des plus anciennes que l’on ait, puisqu’elle a 235 ans – plus de deux siècles. C’est assez extraordinaire, d’ailleurs. Puis, on se promène à travers les époques. On a décidé d’isoler les estampes d’Utamaro, au centre de la pièce dans ce cube assez intime. Utamaro présente des femmes dans des activités très intimes se maquillant, se nettoyant les dents dans des scènes avec une femme avec son enfant. C’est un traitement de la représentation de la femme assez différent et unique des autres artistes représentés. Et puis, le parcours est aussi ponctué d’œuvres assez uniques, comme les deux surimonos de Hokusai qui sont, je le répète, extraordinaires tant par leur rareté que par leur peintre (quand on parle art japonais, la première chose à laquelle on pense est La grande vague de Kanagawa). On a eu la chance d’avoir ces deux surimonos de Hokusai.
Quelles ont été les étapes majeures du travail avec les prêteurs d’œuvres, notamment en termes de conservation et de transport ?
La toute première étape, c’était le contact avec la Fondation. cette mise en confiance, mûrir ce projet. Ensuite, l’étape qui nous a probablement pris le plus de temps, ça a été la sélection des estampes, puisqu’il y a un énorme fond, très impressionnant. Caroline s’est déplacée plusieurs fois pour voir les estampes : c’est elle qui a eu un premier contact vraiment visuel avec les estampes puisque c’est bien plus parlant de les voir en réalité que derrière un écran. Donc, la sélection des oeuvres, et ce choix de commissariat arrêté sur ce thème.
Ensuite, ça a été la phase beaucoup plus logistique, l’encadrement des oeuvres, puisque vous ne pouvez pas les présenter n’importe comment, évidemment. Le système de protection des oeuvres, le système d’accrochage, le transport, cette phase de régie.
Et enfin, la dernière étape est la communication : à savoir le choix du visuel à apposer sur tout nos supports de communication. On voulait un visuel très parlant pour le public Lorsque l’on parle d’estampes japonaises, globalement, on voit tous un portrait de belle femme. Le choix s’est porté sur l’une des représentations de Utamaro, l’un des maitres de l’estampe japonaise. Georges Leskowicz et son équipe ont validé non seulement les contenus textuels mais également le changement de fond de l’estampe.
L’estampe japonaise nécessitant des conditions de conservation spécifiques (lumière, humidité, etc.), quelles précautions particulières ont dû être prises pour cette exposition ?
Les normes de conservation préventives sont stipulées sur le contrat de prêt. Nous avons l’avantage de bénéficier d’une salle noire qui, comme son nom l’indique, ne reçoit aucune source de lumière naturelle. Pour des œuvres aussi précieuses, on doit respecter un taux de 50 lux, ce qui est peu. Cette salle est vraiment propice à recevoir des œuvres d’une telle préciosité.
Notre technicien lumière a travaillé sur chacune des estampes avec des spot afin d’obtenir un éclairage précis. On ne peut pas éclairer toute la journée de telles œuvres. L’exposition est ouverte de 14 h à 18 h pendant deux mois, ce qui est raisonnable. Ces estampes sont exposées ici pour un petit moment, mais par la suite, elles ne vont pas pouvoir être exposées ailleurs. Elles vont devoir passer un temps dans les réserves.
Évidemment, le public peut prendre des photos mais sans le flash. Toutes ces normes de conservation sont assez dingues lorsque l’on sait qu’à l’origine les estampes n’étaient considérées comme des œuvres d’art.
Il est nécéssaire d’en prendre soin pour qu’elles perdurent !
Il a également fallu maîtriser le taux d’hygrométrie, d’humidité de la salle grâce à des instruments. On fait des relevés qui attestent que la salle est en capacité de recevoir ces œuvres. Concernant la sécurité des œuvres : un membre de l’équipe du CJB est constamment présent dans la salle d’exposition lors de l’ouverture au public pour assurer la sécurité des œuvres en plus de la médiation.
La médiation et l’accueil du public
L’exposition s’adresse à un public varié, des amateurs d’art japonais aux visiteurs néophytes. Quelles stratégies de médiation ont été mises en place pour rendre l’exposition accessible à tous ?
On essaye de toucher un maximum de personnes. Adultes, enfants, avertis, néophytes. Ça, c’est vraiment le cœur de notre projet, de notre métier. Donc, on propose une médiation adaptée à toutes et à tous. C’est une exposition qui est très contemplative, même s’il y a beaucoup de choses à dire dessus. L’œil se plaît à regarder les estampes sans forcément trop d’informations.
Par exemple, pour les enfants, on va sélectionner quelques estampes telles que celle de Chōki avec la chasse aux lucioles. Les personnes représentées pratiquent un loisir qui est concret. Cela nous permet vraiment d’expliquer, de rendre l’image vivante pour l’enfant. Pour Utamaro, c’est aussi assez simple puisque l’estampe renvoie à ce qu’elle montre : c’est une femme se maquillant. En plus, c’est quelque chose que nous-mêmes, on fait aujourd’hui. Une estampe également intéressante à regarder c’est Hanami, contemplation des fleuraisons, de Hiroshige, puisqu’il s’agit d’un événement important aujourd’hui encore dans la vie des Japonais. Et puis, c’est quelque chose de beau, que les enfants connaissent en général. En Occident, quand on voit des cerisiers en fleurs, on pense spontanément au Hanami. C’est le moment, au Japon, où il y a le plus de tourisme. Donc, on va se concentrer sur des œuvres qui ont une histoire facile à raconter.
On ne leur parle pas des maisons vertes, on sélectionne quand même les informations. Un enfant reste très curieux, pose beaucoup de questions. La médiation se fait assez naturellement, ces sont des questions-réponses toujours très intéressants. Ils vont trouver des détails qui semblent évidents mais que nous, on a peut-être trop intellectualisés. C’est vraiment très intéressant de discuter avec les enfants.
Et puis, on parle aussi avec l’enfant de manière un peu plus simple du procédé de fabrication d’une estampe. On va prendre l’exemple d’un tampon qui est très parlant pour eux. Pour les adultes, c’est à peu près les mêmes informations mais un petit peu plus détaillées. On va pouvoir parler notamment de la censure du shogunat de l’époque, de ces maisons vertes, de la différence entre une estampe et un surimono, du format de l’estampe, de la vie aussi des peintres. On aime beaucoup faire la médiation à base d’anecdotes. C’est toujours très intéressant et très parlant, et on retient tous ces petits détails croustillants de l’histoire, du gossip, qu’on aime tous. On aime beaucoup parler des œuvres de cette manière.
Pour la médiation, on organise chaque premier dimanche du mois une visite commentée tout public. C’est aussi très intéressant. C’est une visite qui dure moins d’une heure puisqu’on donne quelques clés. Mais il reste primordial que le visiteur se promène tout seul dans l’exposition et puisse voir les détails. Dans notre médiation, on ne peut pas s’arrêter sur chaque détail.
On discute par exemple des motifs des kimonos qui reviennent très souvent comme le bambou, le chrysanthème, les pivoines, Et après, c’est le visiteur, s’il le souhaite, qui peut aller voir tous ces détails. On propose également deux conférences faites par Catherine Koenig, une conférencière nationale sur le thème de l’exposition. Souvent, les gens viennent à une conférence, absorbent plein de contenus théoriques sur les estampes et l’appliquent dans l’exposition. C’est très intéressant de parler avec ce public qui a engorgé plein de connaissances, qui s’est vraiment intéressé à la culture japonaise.
Depuis l’ouverture, avez-vous eu des retours du public ou des interactions marquantes qui vous ont particulièrement touchées ?
Oui, on a des retours très positifs du public. Je pense que ce qu’il ressort vraiment, c’est l’émerveillement. On a la chance d’avoir une telle exposition dans un tiers lieu, qui accueille un public de tout âge, de partout finalement. Donc, on bénéficie de cette visibilité, et ce qui ressort vraiment, c’est l’émerveillement.
Les gens sont ravis d’avoir une telle exposition à Puzzle, à Thionville, dans le Grand Est. Ils sont très surpris aussi. On nous demande assez régulièrement si ce ne sont pas des reproductions. Mais je pense que, pour nous, ça paraît évident, mais c’est vrai que ça peut ne pas l’être du tout. Le public est très content d’avoir accès à ça ici, parce qu’en général, c’est plutôt à Paris, où tout est très centralisé. C’est spécial d’y avoir accès dans des villes plus petites. Donc, le public est vraiment très, très content.
Il y a également le fait que cette exposition soit entièrement gratuite : cela permet au public de revenir assez régulièrement. Il y en a beaucoup qui reviennent parce que, mine de rien, même si on a une quarantaine d’estampes, elles sont tellement détaillées, elles ont tellement d’histoires à raconter, qu’on a envie de revenir plusieurs fois.
Enfin, que souhaites-tu que les visiteurs retiennent avant tout de Contemplations japonaises ?
De l’émerveillement, encore une fois. Que l’art est à la portée de toutes et tous, que c’est très facile de franchir la porte d’un lieu culturel, et que, comme on disait, il n’est pas forcément nécessaire de se rendre dans un musée ou dans une institution pour voir de l’art !

Mazarine LAMBERT, chargée de mission au Centre Jacques Brel, Thionville.
Interview par Julie GUILLAUME et Yixing TU.