Article pour la maison de vente de céramique d’art japonaise Maison Wabi-Sabi, Janvier 2025
L’histoire de la céramique d’Hizen est en tout point fascinante. Les potiers du Nord-Ouest de l’île de Kyūshū ont su conjuguer l’excellence de leur art, une adaptabilité aux marchés locaux et internationaux, ainsi qu’une quête constante d’innovation et de perfectionnement. La région d’Hizen tient une place notoire dans l’histoire de la céramique japonaise puisqu’elle est considérée comme le berceau de la porcelaine nippone. Haut lieu de traditions, ses techniques et savoir-faire sont perpétués de génération en génération. De nos jours, elle figure toujours comme un centre dynamique de la production contemporaine.

Les années 1610, en quoi se caractérisent les prémices de cette nouvelle création ?
Il y a 400 ans, au début de l’époque Edo (1603-1868), la région d’Hizen comprenait les actuelles préfectures de Saga et de Nagasaki, regroupant 8 villes clés : Karatsu, Imari, Takeo, Ureshino, Arita, Sasebo (ou Mikawachi), Hirado et Hasami. Cette situation géographique en faisait un premier lieu de contact avec le continent.1
A ses débuts, la production céramique d’Hizen se positionne à l’embouchure de diverses influences. En effet, le marché intérieur japonais de porcelaine se composait majoritairement de productions chinoises importées des fours de Jingdezhen.2 Les premières créations nippones avaient pour but de compléter cette offre. Elles restaient donc modestes (10% de la marchandise) et se devaient de s’aligner sur le modèle chinois en termes de motifs et de techniques.3 La seconde influence significative fut celle de la Corée. En effet, cette nouvelle création japonaise bénéficia du savoir-faire des potiers coréens, installés de force au Japon suite à l’invasion du pays par Hideyoshi TOYOTOMI en 1590. Ces artisans étrangers ont apporté au Japon de nombreuses techniques ou matériels nouveaux : comme le Noborigama (four grippant) qui permet un meilleur contrôle de la température. Ce four fut premièrement importé dans la région de Karatsu sur l’île de Kyūshū. Cette nouvelle innovation revivifia la céramique locale. L’arrivée de ces fours contribua significativement à l’émergence de la porcelaine nippone, au début du 17ème siècle.4

Les années 1630-1660, quelle évolution pour la porcelaine d’Hizen au sein du marché interne nippon ?
Les années 1630 marquent un tournant décisif dans l’essor de la première porcelaine japonaise, de par la consolidation de l’approvisionnement en Kaolin. Dès 1616, la carrière d’Izumiyama (région d’Arita) permet un approvisionnement abondant en matière première.5 Le Kaolin n’est autre qu’un type particulier d’argile qui contient une variété douce et blanche de terre6 indispensable à la production de porcelaine. De plus, le meilleur contrôle du feu des fours grâce aux techniques des potiers coréens permet de répondre aux difficultés techniques qu’impose ce type de création. La porcelaine d’Hizen se distancie progressivement de ses modèles et influences continentales pour favoriser l’établissement d’un style qui lui est propre. Ces poteries sont de formes et d’utilisations diverses : assiettes pour banquets ou bols pour les repas quotidiens. Elles revêtent des motifs issus du folklore et de la culture japonaise : paysages de différentes saisons, cerisiers en fleurs, animaux symboliques etc. Ces décors sont peints en bleu de cobalt sur un fond blanc de manière fluide. Ces céramiques d’art sont de plus en plus fines et complexes, recouvertes d’une glaçure transparente, et de texture plus graineuse.7

De cette époque résulte également de nombreuses innovations techniques et stylistiques. L’une d’entre elles n’est autre que la peinture sur émail sur glaçure (iroe).8 Cette méthode consiste à appliquer des motifs polychromes après la cuisson, utilisant des couleurs comme le rouge, le bleu ou l’or ; ou bien, la technique nigoshide inventée par la famille Kakiemon qui consiste à obtenir une finition d’un blanc crémeux sur les porcelaines. Cette technique est désormais inscrite comme bien culturel immatériel important par l’UNESCO.9 Enfin, ces techniques restent non modifiées depuis l’époque d’Edo, et persistent toujours de nos jours.

Ainsi, au fil des années, la porcelaine d’Hizen conquit progressivement le marché domestique japonais par son esthétique distincte. Les réseaux de distribution déjà existant pour la céramique de Karatsu sont mis à profit pour sa distribution à l’échelle nationale : voies terrestres depuis Kyūshū vers l’ouest du Japon et ses grandes villes (Ōsaka ou Kyōto) ; et voies maritimes longeant la mer du Japon. La porcelaine d’Hizen prend, alors, le nom de « Imari-yaki », d’après le port d’Imari où elles étaient exportées.10 Imari s’impose progressivement comme le site officiel des fours à poterie.
Existe-t-il une porcelaine japonaise de luxe ? Nabeshima-yaki : Porcelaine de prestige
À Arita, en parallèle de ses pièces du quotidien, une production plus luxueuse se constitue sous la direction du clan Nabeshima. Ce dernier administre la région d’Hizen et établit au XVIIème siècle une politique de soutien envers cet artisanat d’art : consolidation des fours dans la région et encouragement pour leur spécialisation dans la production de porcelaine. Ces céramiques de prestige étaient dédiées à la cour shogunale et ses dignitaires. Elles étaient conçues pour refléter le statut élevé de leurs destinataires.
Leurs motifs étaient subtils, emprunts du symbolisme de la culture nippone. Leurs couleurs sont douces et leurs surfaces uniformes. Les finitions se devaient d’être impeccables. Les techniques et motifs étaient tenus secrets et ne pouvaient être imités sur la porcelaine destinée au marché domestique. Leur production se faisait dans des fours qui leur étaient réservés, tout comme leur circuit de distribution qui n’empruntaient pas les routes commerciales habituelles. Il s’agit d’une des porcelaines japonaises les plus raffinées et élégantes.11

(Droite) Plat avec hortensias, 1690-1730 (période Edo 1615-1868), Porcelaine à glaçure céladon et décor bleu sous glaçure (Hizen ware, type Nabeshima), H.5.7 cm – Diam. 20.3 cm, Japon, États-Unis, New York, MET Museum, The Harry G. C. Packard Collection of Asian Art. Exact URL.
Les années 1640-1660 : vers les marchés internationaux. Comment l’artisanat japonais trouve-t-il sa place au sein du commerce international ?
Au cours des années 1640-1650, des évènements géopolitiques propulsent la porcelaine Imari-yaki sur la scène du commerce international. En effet, le basculement de dynastie des Ming en faveur de la dynastie Qing (1644) en Chine, provoque une instabilité politique interne et chamboule leur dynamique commerciale.12 L’exportation de leur porcelaine diminue drastiquement permettant à la production japonaise de s’épanouir rapidement. La porcelaine Imari-yaki s’impose sur le marché national remplaçant la concurrence chinoise, et prend progressivement une place significative sur le marché international. Effectivement, son exportation s’appuie sur la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, permettant leur diffusion en Asie du Sud-Est et en Europe (du XVIIème au XVIIIème siècle). Le rôle des Hollandais est emblématique puisqu’ils importaient parmi les premières formes d’art japonaises en Europe.
Ce qu’il y a de fabuleux dans l’histoire de cette porcelaine, est bien l’adaptabilité de leur esthétique pour le commerce. En effet, ces exportations ont foncièrement influencé leur production, afin de répondre aux goûts variés des marchés étrangers.13 Les artisans d’Hizen créaient des formes et motifs spécifiques selon leurs acheteurs. Les Néerlandais allaient jusqu’à même fabriquer des modèles en bois ou en terre cuite de dessins européens et les envoyaient au Japon pour qu’ils soient copiés. Il fut ainsi créé des ensembles de tasses et de soucoupes aux motifs japonais, spécialement pour la consommation de thé et de café — pratiques populaires en Europe à l’époque.14


Quelle perpétuité ? La fin du XVIIème siècle : Concurrence, évolutions et diversification des centres de production
À partir de la fin du XVIIème siècle, la porcelaine Imari-yaki fait face à une concurrence croissante : les porcelaines chinoises ont regagné en popularité après la stabilisation de la dynastie Qing, et des centres de production européens ont émergé en tant que concurrents sérieux sur le marché international.
Pour s’adapter, les artisans d’Hizen ont recentré leur production sur le marché intérieur japonais. Pour rester compétitifs et attractifs, l’esthétique de leur porcelaine représente exclusivement des motifs japonais afin de plaire aux locaux. Enfin, la rationalisation de leurs coûts conduit à l’invention de plusieurs innovations techniques — comme le Kappazuri (impression au pochoir) et le Konnyaku-inban (procédé d’impression sur céramique à base de Konjac). Cela permet ainsi de prospecter une plus large clientèle. Ces avancées ont permis de démocratiser l’usage de la porcelaine, autrefois réservée à une élite.15
Enfin, les motifs de la porcelaine Imari-yaki inspire et ses savoir-faire s’exportent. Cette dernière garde une notoriété nationale, grâce à sa qualité et à son esthétique raffinée. Aux XVIIIème et XIXème siècles, d’autres régions du Japon, comme Seto et Mino, s’initient à la production de porcelaine. Ces nouveaux centres offraient des produits moins coûteux et adaptés aux marchés locaux, intensifiant ainsi la concurrence. Toutefois, ces styles régionaux — comme le Matsuya-yaki (Kumamoto) ou le Shōdai-yaki (Kumamoto) — ne surpasseront jamais totalement la prééminence d’Hizen.16
Conclusion
Ainsi, la porcelaine d’Hizen résulte du parachèvement des savoir-faire importés du continent, jusqu’au façonnement d’une tradition remplie de l’essence de la culture japonaise. Les artisans nippons ont su développer une identité esthétique unique. La dynamique d’exportation fut adaptée aux évolutions des marchés domestique et international. L’ingéniosité et l’intelligence commerciale des Japonais ont conduit à une diversification des créations : d’une porcelaine d’excellence à destination du shogun, à une porcelaine du quotidien, pour ensuite atteindre une adaptation de l’art aux goûts de la clientèle étrangère. Ces diverses dynamiques en font un sujet d’étude fascinant.
De nos jours, les villes de production de l’ancienne région d’Hizen ont gardé tous leurs charmes : cheminées, murs faits de fragments de poteries (tombai) et d’anciens fours. Elles restent un haut lieu de production de céramique et de porcelaine japonaise.17
- Japan Heritage: Hizen Pottery Region, « Model itinerary », Site officiel du Japan Heritage : Hizen Pottery Region, exact URL consulté en mi-novembre 2024.
↩︎ - 佐賀県立九州陶磁文化館主催、編集 | Saga kenritsu kyūshū tōji bunkakan shusai, henshū, « The Shibasawa collection : 40th anniversary/special commemorative exhibition » : catalogue d’exposition, 16 novembre 2020 – 13 décembre 2020, Musée de la Céramique de Kyūshū, Japon, 2020, p.105.
Saga kenritsu kyūshū tōji bunkakan shusai, henshū, Ibid., p.105-106.
Toutefois, ces céramiques chinoises importées font déjà l’objet d’une adaptation esthétique. En effet, l’aspect de ces marchandises sont choisis selon les goûts de la clientèle japonaise de l’époque afin de répondre aux exigences de la cérémonie du thé. De cela en résulte une apparence plus rustique et simple. WILLMANN Anna, « Edo-Period Japanese Porcelain », Heilbrunn Timeline of Art History, avril 2011, New York, The Metropolitan Museum of Art, 2000–,Exact URL
↩︎ - WILLMANN Anna, « Edo-Period Japanese Porcelain », Heilbrunn Timeline of Art History, Ibid.
↩︎ - British Museum, « Kakiemon : a history of making Japanese porcelaine », vidéo publiée sur Youtube le 24 juin 2016, exact URL consulté le 2 décembre 2024.
↩︎ - WILLMANN Anna, « Edo-Period Japanese Porcelain », Heilbrunn Timeline of Art History, op. cit.
↩︎ - Saga kenritsu kyūshū tōji bunkakan shusai, henshū], op.cit., p.106-107.
↩︎ - Saga kenritsu kyūshū tōji bunkakan shusai, henshū, Ibid., p.106-107.
↩︎ - British Museum, « Kakiemon : a history of making Japanese porcelaine », op.cit.
↩︎ - Japan heritage official site, « The cradle of Japanese porcelaine », exact URL, consulté novembre 2024.
↩︎ - Saga kenritsu kyūshū tōji bunkakan shusai, henshū], op.cit., p.62, 105-106. ; WILLMANN Anna, « Edo-Period Japanese Porcelain », op.cit., ; [Kyushu ceramic museum], « Hakuu collection », site officiel du Musée de céramique de Kyūshū, section « Exhibition > Collections », exact URL, consulté en novembre 2024.
↩︎ - Saga kenritsu kyūshū tōji bunkakan shusai, henshū, op. cit., p.105. ↩︎
- MET Museum, Cartel de l’œuvre Bouteille à vin avec fleurs et graminées, première moitié du 17ème siècle, Période Edo (1615-1868), Porcelaine à décor bleu sous glaçure (Hizen ware, early Imari type), H.16.1 cm, Diam. 8.9 cm, Japon ; Etats-Unis, New York, MET Museum, The Harry G. C. Packard Collection of Asian Art. ; Exact URL.
↩︎ - WILLMANN Anna, « Edo-Period Japanese Porcelain », op.cit. ↩︎
- Saga kenritsu kyūshū tōji bunkakan shusai, henshū, op. cit., p.108-109.
↩︎ - Saga kenritsu kyūshū tōji bunkakan shusai, henshū, Ibid, p.109-110.
↩︎ - Japan heritage official site, « The cradle of Japanese porcelain », op. cit.
↩︎ - Japan heritage official site, « The cradle of Japanese porcelain », op. cit. ↩︎